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A la pêche aux palourdes – par Jorge Sarmiento

Voyages

Combien de fois penses-tu aux palourdes que tu manges ? C’est un peu bizarre, non ? Un machin visqueux que l’on mange cru et auquel on pourrait associer plein de choses dégoutantes. Je pourrais aussi poser une question un peu plus générale : est-ce que tu n’as jamais mangé de palourdes ? Même si tu n’en as jamais mangé, tu pourras profiter de ma relation compliquée avec cette « délicatesse » que les français aiment tant.

Je pose la question parce que j’aimerais bien raconter une histoire. Je suis né en Colombie, et là-bas mes parents étaient les propriétaires d’un restaurant chic de fruits de mer. J’ai donc grandi avec ce type de gastronomie chez moi et comme j’étais un enfant typique qui faisait ce que les enfants font, j’ai exaspéré mes parents parce que je trouvais les fruits de mer dégoutants. Et voilà. Plus vieux et plus poli, je continuais à détester ce type de nourriture, particulièrement les palourdes, mais j’étais extrêmement mûr et donc à chaque fois que quelqu’un m’en offrait, j’inventais une allergie pour ne pas les manger. C’est plus efficace que de pleurer comme méthode de les refuser.

Quel est le parcours qui amène un individu aux goûts limités comme les miens à chercher ses propres palourdes sur la côte Atlantique française ? Ça, mes amis, ça c’est toute une histoire qui, comme toutes les belles histoires, commence en France.

Je suis arrivé à Paris le 7 janvier 2011. Je n’étais jamais sorti du continent américain, mais j’étais sûr de moi-même, peut-être plus sûr que les jeunes de mon âge, et je savais, dans le plus profond de mon cœur, que les palourdes n’étaient pas pour moi. Comme plein d’ados, je me trompais et disons qu’il a fallu aller non pas à Paris, mais à Loctudy, dans la profondeur de la terre des Bretons, pour me rendre compte que pour être un français qui se prononce sur la culture et sur plein d’autres aspects de la vie que les français connaissent mieux, il faut aimer le vin et bien sûr, les palourdes et le caviar. Je ne peux pas dire que tous les français sont comme ça, mais ma famille d’accueil, avec un appartement au cœur de Paris, était d’une certaine façon le stéréotype parfait des français. Bon-vivants, gourmands, bio, et avec un merveilleux berger australien, Achille.

Si l’on croit que tous les français vont au sud de la France en vacances, on se trompe. Apparemment ils vont aussi à Loctudy chercher l’eau froide et le calme que l’Atlantique français peut leur donner. Et comme Sylvie, ma mère d’accueil, m’avait invité et que j’ai dit oui, je suis allé là-bas, où il n’y avait même pas l’internet, le métro, ou un moyen de transport que je pourrais utiliser au cas où quelqu’un voudrait me faire manger des palourdes. Un vendredi matin, quelqu’un m’a réveillé. « Jorge, on va chercher de palourdes ! Dépêche-toi ! ». Je croyais qu’on allait à un marché aux poissons et naturellement, j’étais mécontent. Mais Achille venait aussi, et on amenait un gros cabas, avec des outils de jardinage. La chose était bizarre. Après avoir passé par le marché aux poissons sans s’arrêter, et par des milliers de ronds-points qui m’énervaient de plus en plus, je me suis dit « franchement, on dirait qu’on va pêcher les fichues palourdes… ». Telle était ma surprise quand, en fait, nous arrivons sur une plage, tout le monde cul-en-air, à creuser de trous pour chercher les palourdes. « Jorge, breathe in, breathe in, laisse-toi mourir de soupirs pour ne pas toucher la terre. »

Mais qu’est-ce que je me trompais! Cette mauvaise attitude ne me rendait pas amusant mais après avoir vu la beauté du paysage, les enfants qui couraient, les chiens après eux, j’ai éclaté de rire à cause du tableau en face de moi, tout le monde cul-en-air. Monet n’a pas peint ça. Et après, mesdames et messieurs, je ne peux pas vous décrire la fierté que l’on peut éprouver quand on mange les palourdes pour lesquelles on a creusé soi-même. Il m’a fallu aller en France, le pays qui se vante de sa culture avancée (qui par ailleurs est une expérience merveilleuse) pour retourner aux jours où on chassait sa propre nourriture. I would do it all over again.

Printemps 2011